Sauf qu’à peine né, le projet commence à se fissurer... Rémi Sussan nous propose actuellement pour InternetActu une série en onze billets, qui s’annonce passionnante, sur l’avenir des mondes virtuels.Il souligne dès le second billet que «le premier goulot d’étranglement qui s’oppose à une extension massivedes mondes virtuels est la lourdeur du système client serveur.» Notre futur en gestation est déjà étranglé par la limite technologique et financière indépassable de la bande passante!
Il y aurait bien une solution, suggère Rémi Sussan, mais ?a n’est pas Second Life... «Une technologie comme celle de Croquet,un logiciel pour la création et le développement d’environnements pourmondes virtuels, pourrait démocratiser quelque peu le processus. Cesystème tout à fait original repose en effet sur une technologie peerto peer. Chaque monde développé avec Croquet se situe sur un ordinateurparticulier, et le calcul est distribué entre les machines: pas de “gros serveur” centralisant les données de nombreux visiteurs, chacungère son espace virtuel et les informations partagées sont “répliquées” entre les machines. Une bande passante très faible est suffisantepour cela.»
Le vertige du monde selon Facebook
Avec Google, le web avait deux dimensions. Puis Second Life et les univers virtuels annon?aient le web en trois dimensions. Aujourd’hui Facebook s’affranchit de ces métaphores pour nous donner du web l’image d’une abstraction formidable et monstrueuse: le «social graph», une représentation mathématique embrassant l’humanité réelle dans sa totalité. Vertige...
Les fiches de Facebook ne sont pas les personnes, bienentendu, comme la carte n’est pas le territoire. Mais le projet estbien de construire sur le web une représentation des relations quiexistent entre tous les gens, au sein de la totalité de l’humanité, unereprésentation abstraite, mathématique, bien moins concrète qu’unecarte, moins «intuitive» comme on le dit des interfaces logicielles,mais à la puissance bien plus redoutable...
Au départ, les choses paraissaient simples. Le web était plat.
Des univers instables et disloqués
Jamais projet humain n’avait été aussi loin. Si cen’est la fiction racontée par Borges, mais c’était une fiction. Elle apris forme aujourd’hui sur Facebook...
Le web est-il rond ou carré? A-t-il un haut, un bas?Une profondeur? Quelle est sa forme? Qui peut nous fournir un plan,pour savoir où nous allons?
Un monde presque parfait
Au départ, le web était plat
L’angoissante beauté des abstractions mathématiques
Philippe Pérès imaginait déjà pour NetEco.com un monde presque parfait: «Car la 3D temps réel n’est pas seulement réservée au domaine du jeu,comme on pourrait le penser au premier abord. Elle permet aussi dedévelopper de nouveaux environnements de travail collaboratifs (réunionà distance en web conférence, formation en classe virtuelle), dee-commerce (boutiques et galeries commerciales virtuelles) ou deréseaux sociaux d’expression et de partage (espaces personnels 3D)... desapplications tant professionnelles que grand public qui reposent sur la3D et la collaboration en temps réel.»
L’avenir était tracé: «La 3D est làpour apporter une dimension supplémentaire (un supplément d’ame) plusesthétique mais aussi et surtout pour permettre un accès plus immédiatà du contenu multimédia: c’est l’idée d’ "image habitable", tellequ’exposée par Sylvain Huet et Philippe Ulrich: "Habiter une image,c’est comme habiter une maison: on y entre, on y re?oit, on y partage,on y travaille, on s’y repose, on la construit, on l’emménage,
cheap tods, onl’agrandit, on la range, on la dérange. La seule différence, c’est quel’image qu’on habite n’a pas de matérialité, ou plut?t sa matérialitéest changeante (...)."»
Nous en sommes donc là pour le moment. L’histoire se poursuivra-t-elle comme celle de Borges? «Moinspassionnées pour l’étude de la Cartographie, les Générations Suivantesréfléchirent que cette Carte Dilatée était inutile et, non sansimpiété, elles l’abandonnèrent à l’Inclémence du Soleil et des Hivers.Dans les Déserts de l’Ouest, subsistent des Ruines très ab?mées de laCarte. Des Animaux et des Mendiants les habitent. Dans tout le Pays, iln’y a plus d’autre trace des Disciplines Géographiques.»
Quand la carte recouvre le territoire
Mais nous sommes loin du monde bien policé de Second Life, que n’aurait pas renié Walt Disney (même si, bon, c’est vrai, dans Second Life il y a du ######e, ce qui n’est pas le cas dans le monde de Mickey)...
La représentation mentale du web que nous propose leprojet Facebook est vertigineuse... Le «social graph», cettereprésentation mathématique de l’humanité, dénouant, grace à lapuissance de calcul des ordinateurs, l’inextricable écheveau desrelations humaines, nous renvoie une image du monde qui n’est paspossible dans le monde... Elle n’est possible que sur le web, et avecune économie de moyens technologiques qui la rend bien plus crédibleque les illusoires mondes virtuels...
Le terme de «cyberespace» n’avait-il pas été forgé par le romancier William Gibsondix ans avant même que le web ne voit le jour... Il n’attendait que deprendre forme, et le dessin maladroit de Second Life commen?ait àévoquer quelque chose de connu. La matrice prenait forme, Matrix était pour bient?t... ?a n’était pas rassurant pour tout le monde,
tods online, mais au moins, on savait qu’on allait quelque part...
«Ici»,
The Real Advantages Of Debt Consolidation_11430, nous ne sommes dans aucun un «lieu». Mon«profil» Facebook n’est pas un «site». Sur Facebook, on rédige unefiche personnelle. 70 millions de personnes dans le monde l’auraientdéjà fait (un chiffre qui reste à vérifier...). La fonction du logicielest d’établir des liens entre ces fiches. Ces liens, ce sontprécisément ceux qui vous lient dans la «vraie» vie à vos relations:votre famille, vos amis, vos relations professionnelles, et tous cesnouveaux amis que vous vous êtes faits sur le web...
Nous avions surtout besoin d’une bonne carte et dequelques panneaux indicateurs pour trouver notre chemin... On rédigeades annuaires, on construisit des portails. On se lan?a dans la cybergéographie.Mais le territoire était sans cesse plus grand, la frontière étaitrepoussée toujours plus loin. Les annuaires n’étaient jamais à jour...Les portails n’étaient que des portes ouvertes... Et l’on commen?aitmême à douter qu’il soit jamais possible d’établir la carte d’un monde qui devenait si grand...
Depuis le début du web, nous courons après des représentations mentalesnous permettant de cerner les contours de la «chose» et tenter detrouver notre chemin à l’intérieur. Mais elles se dérobent les unesaprès les autres...
L’image pouvait déjà convenir pour nos mondes virtuels,appelés à reproduire à l’identique l’ensemble du territoire (mais ondoute, on l’a vu, que la bande passante soit suffisante pour y parveniravant longtemps sur le web). Elle prend un autre sens avec Facebook.Car s’il ne s’agit plus d’une carte, il est bien question des personnesréelles, celles du vrai monde...
Après Google et le web en deux dimensions, Second Life et les univers virtuels préfiguraient un futur du web en trois dimensions... Facebooks’affranchit aujourd’hui de toutes les métaphores spatiales, pour nousdonner du web l’image d’une abstraction au potentiel formidable etmonstrueux: le «social graph»,une représentation mathématique embrassant l’humanité réelle dans satotalité. Un projet dément, qui provoque comme un malaise...
Puis vint Google,l’indicateur automatique à vocation universelle. Il se présentait commeun guide austère mais efficace. Il lan?ait ses robots à travers leréseau, défrichant la voie jusqu’aux confins de la toile. Ilrépertoriait tout, mémorisait tout, tra?ait notre chemin dans la jungleen trois dixièmes de seconde, et nous menait à bon port en un clic desouris. On reprenait espoir d’y comprendre enfin quelque chose...
L’ambition du projet est bel et bien de répertorierl’ensemble des relations qui existent entre tous les membres del’humanité. Google voulait avaler tout le web, Facebook s’en prend àtous les hommes... Selon Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, le«social graph», «c’est l’ensemble des relations detoutes les personnes dans le monde. Il y en a un seul et il comprendtout le monde. Personne ne le possède. Ce que nous essayons de fairec’est de le modéliser, de représenter exactement le monde réel en endressant la carte (to mirror the real world by mapping it out)» (traduction Francis Pisani).
L’expression de Mark Zuckerberg renvoie immédiatement à une nouvelle de l’écrivain argentin Jose Luis Borges, qui raconte cette histoire: «lesCollèges de Cartographes levèrent une Carte de l’Empire, qui avait leFormat de l’Empire et qui co?ncidait avec lui, point par point».
La métaphore spatialedes réseaux s’était imposée d’elle-même dès l’origine pour représenterle web. Elle commen?ait là à trouver une forme intéressante.
Les mondes virtuels ne passeront pas
Voilà déjà qu’un nouveau modèle se présente. Unenouvelle révolution est en marche: une image du web qui romptradicalement avec cette fameuse métaphore spatiale qui nous tient depuis le début. Elle se nomme Facebook.
Puis le web changea de dimension
Ensuite vint Second Life,qui laissait entrevoir encore mieux, un web en trois dimensions (web3D), qui prenait du volume, mais offrait l’image d’un monde balisé, auxrues taillées au cordeau. Un monde familier, qui commen?ait àressembler au n?tre...
De nouveaux outils de cartographieet de navigation nous sont proposés sans cesse et semblent donner undébut de sens à cet énorme magma en croissance exponentielle, maischaque fois de nouvelles technologies viennent bouleverser ces ébauchesde certitudes, ouvrant des horizons béants vers un futur qui donne levertige.
Nous espérions des repères, un monde balisé,compréhensible... Nous n’obtiendrons qu’un chaos supplémentaire etnous savons encore moins où nous allons...
L’ensemble de vos liens, multiplié par l’ensemble desadhérents de Facebook (et à terme, selon l’espoir de son promoteur,l’ensemble de l’humanité), formera le «social graph». Un nouveau graal. Plus fort que la matrice...
Les mondes de Croquet sont des univers disloqués, instables, imprévisibles, en métamorphose constante, explique Rémi Sussan: «Croquetest un monde virtuel d’une nature différente (de celui de Second Life).Son modèle n’est pas le web,
Ray Ban Aviator, mais les applications pair à pair, commeEmule... Avec ces programmes, rien n’est fixe, l’environnement accessibleest constitué par les internautes branchés simultanément. Contrairementau web, on a du mal à imaginer de tels réseaux ad hoc comme des “espaces”. La configuration de l’univers est chaque fois différente,dépendante de la connexion entre les machines présentes sur le réseau.Un “monde” peut dispara?tre tout simplement par ce que son possesseuraura décidé d’éteindre sa machine... Avec ses mondes isolés, mais reliéspar des “portails” qui peuvent ou non aboutir à leur destination,avec une géographie en constant flux, Croquet ne ressemble en rien àune “seconde terre”.»
Quand la carte remplace le territoire...