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Old 05-29-2011, 02:29 AM   #1
yexuan0503
 
Posts: n/a
Default chanel 51709fXnVous étes mon sujet. gladio

Ségnalo,Carrera Safari1fILMichiganHipHop.com A-Trak “Ray

Longtemps, j'ai cru que j'avais de la chance. Ma carrière étaint une ligne droite oú les obstacles disparaissaient devant moi, et je rèpondais toujours aux flatteurs, avec une modestie dècoulant de l'orgueil, que je n'étais pour rien dans ce qui'ils appelaient ma réussite.
-Merci.
Je regarde la jeune fille, étonné de sa réaction à mes propos. Elle me sourit, la joue dans la main au-dessus de son thé citron.
-Merci de quoi?
-D'apprécier votre chance.
-C'est normal.
-Mais ¢a fait plaisir.
Elle a le ton d'une cuisinière qu'on félicite. Sauf qu'au lieu de mettre en avant la qualité des ingrédients, elle a l'air de souligner le mal qu'elle s'est donné. On voit souvent des professeurs se comporter comme s'ils avaient écrit l'oeuvre qu'ils commentent, ou des critiques parler d'eux-méme à travers les autres qu'ils décortiquent, mais plus rarement une étudiante s'imaginer qu'elle prend part au destin de l'écrivain sur qui elle planche.
Je l'ai rencontré vingt minutes plus tôt, à mon stand du Salon de Montpellier. Elle me tendais mon dernier livre. Il y avait du monde derrière elle, mais elle me dévisageait en silence. J'ai demandé: <<C'est pour?>> Elle a répondu; <<Je suis Mathilde Rennois>>, comme si cela devait me rappeler quelque chose. Dans le doute, j'ai dit <<Ah>>, et j'ai dédicacé le roman avec mon meilleur souvenir. Elle l'a repris en me fixant toujours, immobile. Comme elle était jolie, je lui ai demandé si elle m'avait déjà lu. Elle m'a répondu, très simplement; <<Vous étes mon sujet.>> En deuxième année de doctorat à la Sorbonne, elle préparait une thèse sur mes livres. Elle semblait avoir tout lu, tout décrypté, tout mis en fiches, et son mémoire de maîtrise lui avait valu dix-huit sur vingt. J'étais flatté. Comme les gens s'impatientaient derrière elle, je lui ai proposé de m'attendre au café d'en face.
J'allume sa cigarette en lui demandant pourquoi elle m'a choisi.
-Comme (a. C'est tombé sur vous. Je vous ai découvert à quatorze ans,et je ne vous ai plus lâché. Quand je commence quelque chose, je vais jusqu'au bout.
Il n'y a pas d'hystérie dans sa voix, ni même de fierté. Un ton de résignation. Une sorte de nostalgie calme, comme lorsqu'on fait le bilan au soir de sa vie, et qu'on se rend compte avec regret qu'on n'a jamais changé. C'est bizarre, ce constat de vieille dame dans la bouche d'une jeune fille. elle est polie mais froide. Pas froide, non. Sans chaleur ni distance. L'adjectif qui lui ressemble le plus, c'est; neutre.
-Qu'est-ce qui vous a plu en moi?
J'ai posé la question sur un ton détaché,Ray-Ban RB3321, avec la lucidité amère de celui qui sait bien que son physique a longtemps été plus attirant que son oeuvre.
-Vous étes prévisable.
Le mot me surprend. Me décontenance.D'autrant plus qu'il sonne comme un compliment.
-Vous fonctionnez toujours de la m'eme manière, monsieur Kern. Votre rapport aux événements, aux souvenirs, aux autres... La fa¢on dont vous gérez l'égoïsme, la culpabilité. J'ai écrit votre biographie en annexe à mon mémoire. Tout se recoupe. Vous passez à côté des vivants et vous ne parlez bien que des morts.
Le silence se dilue dans les gestes du serveur qui lui apporte la p'atisserie du jour. Un biscuit au chocolat dans une flaque de sauce.
-Je pourrais lire votre mémoire?
-Non. ¢a changerait votre regard sur vous.
Je souris. J'aime bien cette fa¢on de me protéger contre moi-même.
-Et dans la thèse que vous préparez::: Sous quel angle me traitez-vous?
-L'autofiction rétroactive. La réécriture de vos rapports avec les gens que vous avez perdus. C'est le meilleur axe, non?
J'écarte les mains pour la laisser juge.
-Vous vous confiez à ceux qui ne peuvent plus vous entendre. Vous ne leur disiez rien de leur vivant, et vous dialoguez avec ce qu'ils ont déduire de vos silences. A chaque fois, vous vous reconstruisez dans la mémoire d'un mort.
Elle laisse refroidir son thé. Moi qui suis toujours sur la défensive face aux journalistes et aux exégètes qui essaient de me traire à mon insu, je me sens curieusement en confiance auprès de cette intello blonde qui me lit si bien entre les lignes. On se conna'it depuis mois d'une demi-heure, et c'est déjà l'intimité des vieux amants qui n'ont plus à faire semblant. Mais je n'ai pas le sentiment qu'elle me drague. Je suis pour elle quelque chose de subsidiarie. Comme la jaquette d'un livre. L'emballage facultatif d'une oeuvre achevée.
-Vous étiez dans la région?
-Non, réspond elle.
Je la laisse finir sa p'atisserie, à petites bouchées régulières, machinales. Je commande un deuxième scotch.
-Vous étes venue spécialment pour me rencontrer?
-Oui. Je vous ai écrit douze lettres, vous n'avez pas répondu.
-Je n'ouvre jamais le courrier des lecteurs. Chez moi l'écriture exclut la correspondance.
-Je sais, monsieur Kern.
-Vous poivez m'appeler Alexis. Vous aviez une question particulière à me poser?
-Non. Tout est dans vos livres.
Elle a dit ¢a comme un reproche. Un regret, en tout cas. Elle regarde l'heure, me dit qu'elle doit repartir pour Paris. Je fais signe au serveur. Elle sort son portefeuille, je proteste, elle insiste, je m'empare de l'addition. Pour lui ôter toutscrupule, je précise que je le ferai passeren note de frais. Elle me la reprend d'un geste sec.
-C'est moi qui travaillesur vous.
Il y a soudain dans ses yeux une violence nette, concentré. Je l'observe tandis qu'elle remplit son chéque, et je me dis que ce n'est pas le genre de fille qu'il fait bon contredire. Ou décevoir. De toute fa¢on j'ai arrêté de sauter mes lectrices. L'alcool a remplacé les femmes: c'est plus simple à gérer, mais aussi efficace en termes de somnifère. L'Alexis Kern "de l'Académie fran¢aise" a remplacé l'Alex des boîtes de nuit, et je ne me plains pas. J'ai profité jusqu'à plus soif de ma beauté, de ma santé, de ma vigueur, et je suis très fier, à cinquanteneuf ans, d'être aussi mal conservé. Je n'ai plus l'âge des coups de coeur, je n'ai plus l'âge des contraintes.
-Vous êtes sur un nouveau livre?
-Non.
-Qu'attendez-vous? ¢a fait quattre ans que vous n'avez pas publié,
Ses yeux noisette sont devenus glacés, son visage s'est durci.
-Je n'écris pas sur commande. Et mon oeuvre est derrière moi. Elle est à vous, ajouté-je en souriant, pour la détendre. Mais votre <<sujet>> est épuisé.
Elle me fixe avec un air de rancune, d'injustice.
-Vous dites toujours dans les intervieuws que vous avez <<une bonne étoile>>. Et si c'était moi?
-Libre à vous de le croire.
Elle se lève, me tend la main. Tout en me décollant de ma chaise, je murmure d'un ton faussement contrit:
-Je vous ai de¢ue.
-¢a vous pose un problème?
Aucune de mes paroles ne la prend de court. L'idée me traverse que les milliers d'heures passées sur moi lui donnent le sentiment de manier un personnage. L'impression de me dialoguer. A force de me coucher par écrit, de me relire à voix haute.
-Peu d'écrivains gagnent à être connus, Mathilde.
Pourquoi vouliez-vous me rencontrer?
-Parce que vous m'avez dé¢ue.
Je rest debout, face à elle, les bras ballants.
-L'homme ou l'auteur?
-Je me fiche de l'homme, je n'aime pas ce que vous avez écrit sur la mort de votre ex femme. C'était gratuit. Forcé. Bâclé. C'était bien la peine.
Elle baisse la tête brusquement.
-La peine de quoi?
Elle a haussé les épaules, sans me regarder.
-C'est sur votre mère que vous devez écrire, vous le savez bien. ¢a ne sert à rien d'attendre.
Et elle est partie. J'ai suivi des yeux sa silhouette qui filait droit entre les tables. Ses petites fesses rondes à taille basse sous le blouson de cuir bordeaux, sa queue-de-cheval, ses chaussures à plate-forme et son sac nounours.
Je me suis rassis, lentement, j'ai terminé mon verre. Des bribes de phrases me revenaient dans le désordre,ray ban lunettes0vJfThe shift, des images associées à ses mots, un écho lancinant que j'essayais de faire taire. Un malaise flottait autour de sa chaise vide. Elle ne m'avait laissé ni son téléphone ni son adresse. J'ai tiré vers moi la soucoupe de l'addition et j'ai regardé son chèque. "Mlle Mathilde Renois -4, square des Écrivains-combattants-morts-pour-la-France, 75016 Paris". L'adresse avait l'air d'une blague, l'écriture était d'une rondeur enfantine et la signature évoquait le griboullis pressé d'un P-DG parapheur de contrats. Jamais je n'avais rencontré autant de contradictions chez une jeune femme. Aucun élément de sa personnalité ne concordait, rien n'allait ensemble mais le tout dégageait une force motrice impressionnante. Moi qui étais tout sauf maso, je me sentais bizarrement excité d'étre ainsi dominé par une thésarde. Son physique de minette bêcheuse m'attirait bien moins que son acuité, sa lucidité, sa franchise. C'est vrai que le roman sur mon ex était un plat de circonstance dont je ne tirais pas gloire. Un cache-fortune, comme on dit un cache-misère. deux cents pages d'apitoiement et de remords de synthèse pour masquer la délivrance: l'accident d'Anne-Carole, tout en m'affranchissant du témoin gênant des réalités que je masquais dans mes livres, réglait le problème de la garde de Nadège et me soulageait d'une pension alimentaire astronomique. J'avais eu un peu de peine à exprimer le désespoir du divorcé veuf qui retrouve l'âme soeur à titre posthume, mais sa mort avait été si horrible que la critique s'était montrée bienveillante. Mathilde Renois était la première à me reprocher cet exercice de style artificiel et vain. J'aimais bien. ¢a donnait de la légitimité à l'enthousiasme qu'elle portait à mes autres livres. Mais était-il question d'enthousiasme? J'avais du mal à imaginer qu'on pût consacrer sa vie à un auteur qu'on n'adulais pas -cependant elle ne m'avait complimenté que sur deux choses: mon fonctionnement toujours identique et la fa¢on dont j'appréciais ma chance.
L'attachée de presse déboule dans le café, en me disant qu'une véritable meute assiège mon stand. Elle exagère toujours, mais on la paye pour ¢a. Je dépose dans la soucoupe un billet de vingt euros, et glisse dans ma poche le chèque de Mathilde.
*
Le soir, j'ai séché le diner officiel pour commander un room-service dans ma chambre. En attendant le gar¢on d'étage, allongé sur le couvre-lit dans le peignoir de l'hotel, j'appelle Nadège, comme chaque fois que je ne dors pas à la maison. Plus par diplomatie que par inquiétude. Elle a beau jeu, sinon, de répondre ensuite à mes remontrances: <<D'fa¢on, t'en as rien à foutre que je découche ou pas.>> A seize ans et demi, elle mesure une tête de plus que moi, chausse deux pointures au-dessus, et me traite comme un logeur irresponsable. La mort de sa mère n'a rien arrangé.
Répondeur. Ma voix dissuasive prévient que je suis absent ou occupé, sans inviter les gens à laisser de message. Elle a dû sortir avec une des copines qui peuplent l'appartament dès que j'ai le dos tourné. J'essaie son portable. La boîte vocale me dit que salut, laisse ton nom si tu veux que je rappelle.
-C'est moi, Nad. Ne rentre pas trop tard: tu m'emmènes au ciné, demain soir. Je t'embrasse.
Je reste un moment à contempler le plafond, promenant ma <<bonne étoile>> entre les traces de semelles et les morceaux de moustiques. A l'âge de Mathilde Renois, j'enseignais le fran¢ais à des illettrés de luxe dans une boite à bachot. Ce purgatoire versaillais m'avait inspiré un roman très noir, aussitôt publié par la maison d'édition que dirigeait un parent d'élève. Contre toute attente, son fils obtint dix-sept au bac fran¢ais et je re¢us le prix de la Vocation, qui me permit d'abandonner mes élèves à leur inculture pour me consacrer à mon oeuvre -c'est-à-dire vivre aux crochet de ma femme. La critique dithyrambique n'ayant fait vendre que mille trois cents exemplaires, je connus alors une période de doute aggravée par une crise d'inspiration dramatique, dont me délivra soudain la mort de mon grand-père maternal. Du journal intime qu'il me légua, je tirai cet hommage aux résistants fran¢ais de la Royal Air Force qui me valut un Goncourt àsept cent mille exemplairs. Ma femme en profita pour divorcer, délestant mes journées de travail des pleurs du bébé, et m'offrant du même coup ces nuits de jeune homme que je n'avais jamais eu les moyens de connaître.
C'est alors qu'Oliveir Saint-Pierre, un graouillet crispé à cheveux raides et lunettes rondes, commen¢a à s'acharner sur moi. Critique littéraire dans une douzaine de journaux, magazines et émissions télévisées, il fit de mes ouvrages suivants, "Te perdre et Pension de famille," successivement inspirés par la leucémie de ma soeur jumelle et mon divorce, le déversoir d'un fiel brillant qui rongea mon crédit jusqu'en avril 1998, oú il tomba sous une rame de métro. Magnanime, dans l'un des journaux oú il venait de m'assassiner, j'écrivis son éloge funèbre en ne parlant que du roman prometteur qu'il avait publié vingt ans plus tôt. Sous-entendu: il n'avait rien fait de mieux depuis, et sa légende aurait gagné à ce qu'il mourût plus tôt. A trente ans on inhume encore une promesse; à cinquante on enterre des concessions.
L'Académie, qui comptait une vingtaine de victimes d'Ilives Saint-Pierre, apprécia, et mon éditeur me fit savoir qu'il était temps d'effectuer mes visites. Un seul Immortel était farouchement hostile à mon élection, parce que j'avais sauté son attachée de presse. La violente campagne qu'il lan¢a contre moi s'arrêta avec son décès, et j'entrai sous la Coupole à cinquante-trois ans. <<Maintenant que vous êtes à l'Académie, vous n'avez plus besoin d'écrire>>, se réjouissait mon cardiologue, inquiet de l'infarctus qu'il imputait à mes livres, vu la consommation de café nécessaire à leur élaboration. J'avais obtempéré, laissant les autres adapter mes romans au cinéma et rempla¢ant le café par le whisky pour faire plaisir à mon médecin. De toute fa¢on, je n'avais plus de sujet. Ma mère s'enlisait dans l'Alzheimer depuis dix ans, et mon combat de chaque week-end pour lui rendre l'usage des mots n'avait de sens qu'à l'oral. Il a fallu que mon ex-femme soit écrabouillée sur un passage piéton pour que je me sente obligé de reprendre la plume.
2C'était bien la peine..." La phrase dépitée de ma petite biographe tourne autout du lustre. Un cri du coeur. Un reproche vivant. Comme si elle s'estimait responsable de l'accident d'Anne-Carole, comme si elle l'avait écrasée pour me donner de la matière, et m'en voulait de ne pas avoir été à la hauteur de la chance qu'elle m'offrait. "Vous ne parlez bien que des morts..." Là oú d'autres se prenaient pour des muses, elle se rangeait du côté des fournisseurs. Les mythomanes sont souvent inoffensifs, mais, en y repensant, la manière dont elle m'avait lancé auvisage sa déception faisait froid dans le dos.
J'ouvre au gar¢on du room-service, grignote la moitié de mon club sandwich et vide le minibar. A l'heure oú mes confréres regagnent les chambres voisines pour faire vibrer les canalisations autour de moi, je finis par sombrer dans un sommeil poisseux oú Mathilde Renois, inlassablement, pousse Olivier Saint-Pierre sous le métro, sabote le scooter de l'Académicien et fonce en voiture sur Anne-Carole.
*
Je m'éveillai tard, en sueur, gueule de bois, gorge serrée, la tête lourde. La douche fit partir les traces du cauchemar qui m'oppressait encore, moi qui l'habitude ne gardais aucun souvenirs de mes rêves. L'attachée de presse décomposée m'accueillit sous la tente: j'avais raté au moins trois cents ventes pour la fête des Mères -maintenant c'était le creux du déjeuner et j'avais mon avion à quinze heures. Pour la consoler, je lui dis de me prendre le vol suivant, et de prévenir Les Glycines que je viendrais dimanche prochain. De toute fa¢on ma mère n'avait plus le sens du temps, et oubliait ma visite dès que j'avais refermé la porte. <<Vous lui faites tellement de bien, mentaient les infirmières, elle attend votre venue avec tellement d'espoir.>> Respectueux de leur mérite, je les laissais lutter avec leurs pauvres mots contre le découragement qui éloignait les familles. Moi, je ne risquais rien. Ce n'étaient pas le devoir ni les convenances qui me faisaient venir, c'était l'obsession des neuf cachets violets dans le deuxième tiroir de la table de chevet. Ancien médecin, ma mère n'avait jamais eu d'illusions sur l'évolution de sa maladie, et conservait ces cachets comme un bon de sortie, si un jour son déclin lui devenait insupportable. Fa¢on dérisoire de garder un semblant de contrôle. Elle les avait oubliés depuis longtemps, j'en étais certain -sauf les jours oú, brusquement, deux ou trois fois par an, elle se redressait pour me dire sur un ton de fierté mena¢ante: <<Je pars quand je veux.>> A moins que ce soit une allusion à la maison d'enfance oú elle retournait périodiquement dans son délire, tel un fantôme avant terme hantant les lieux de son drame.
Les infirmières étaient au courant, pour les caches violets. J'avais dit que c'était un placebo. Des Smarties. Elles m'avaient cru. Ou elles avaient fermé les yeux. La seule éthique, là-bas, c'était la dignité.
*
J'arrivai rue de Verneuil à vingt-deux heures. Nadège m'attendait sur le canapé, devant les clips de MTV. Des reliefs de McDo jonchaient la table en marqueterie. Je me crispai devant la canette de Coca posée à même le bois.
-Chacun s'exprime comme il peut, me répliqua-t-elle en se levant. Moi c'est des ronds sur le bois.
Elle se pencha pour m'embrasser, avec toute la douceur qu'elle mettait après chacune de ses vannes. J'aimais bien la liberté avec laquelle elle me traitait. Á travers cette géante sans complexes, je me sentais vengé de huit ans de mortification chez les jésuites.
-Je t'ai mis une quiche dans le micro-ondes.
-C'est trop tard pour le ciné?
-Crise pas: je me doutais, j'y suis allée c't'aprèm. D'fa¢on c'était nul; t'as eu raison de rester à Montpellier. Il faisait beau?
-Tu aurais pu venir.
-T'es nase au milieu de tes minettes. Je te vieillis et tu me fais honte. Ton bain va être froid.
Elle avait développé en grandissant les deux qualités qui me convenaient: l'indépendence et la carapace. Elle n'avait besoin de persinne et tout glissait sur elle, sans pour autant la rendre indifférente. Elle était nulle en tout sauf en sport, soulevait cent kilos, serait prof de gym et à quoi bon se prendre la tête? Mais les quelques pages qu'elle avait écrites sur la mort de sa maman témoignaient d'une sensibilité à fleur de peau, sous ses aplombs de culturiste et ses maladresses de style. Elle m'avait montré les feuilles à Noël, tout en rangeant sa chambre pour accueillir son nouvel appareil de musculation. <<Tiens, je les avais oubliées. ¢a t'amuse, avant que je les balance?>> Pudeur typique chez elle. J'avais parcouru les vingt pages, un crayon à la main, corrigeant les fautes dans un réflexe de pudeur similaire. <<C'est nul, non?>> Je lui avais répondu: <<Nul, non.>> Sur un ton de concession, avec la même gentillesse indulgente qu'elle montrait quand elle me faisait soulever ses haltères. Pas dupe, elle m'avait repris les pages, les avait pliées et n'avait jamais commenté ma réaction, jusqu'à son allusion de ce soir à propos des ronds sur le bois. Mais autre chose me tracassait. Dès sa première phrase, j'avais remarqué qu'elle parlait faux. Comme pour gagner du temps, faire diversion.
-Qu'est-ce qui se passe, Nad?
Elle m'a regardé un istant avec gêne, puis m'a pris contre elle,chanel 5170, a posé son menton sur mon crâne.
-Rien, j'espere. Les Glycines ont téléphoné y a vingt minutes. Faut que tu rappelles.
Je n'ai pas bougé. Avec une tendresse maternelle que je ne lui avais jamais vue, elle m'a dit que c'était peut-être mon virement qui n'était pas arrivé. J'ai serré son poignet, et j'ai marché jusqu'au téléphone.
Lentement, j'ai composé le numéro, donné mon nom, attendu qu'on me passe l'étage.
-Votre mère sêst éteinte, monsieur Kern. Un arrêt du coeur. Toutes nos condoléances, de la part de la direction et du personnel. Nous vous prions de croire à mon regrets sincères.
Vu le prix de la chambre, j'y croyais sans peine.
-J'arrive.
J'ai raccroché. Nad se tenait les bras ballants, pieds écartés, comme lorsqu'elle se concentre avant de soulever une change. Elle m'a souri tristement, du bout des mots:
-C'est une délivrance, pour mamy, non?
J'ai acquiescé: Elle était trop jeune, elle ne se la rappelait pas "avant". Elle n'avait pas connu la tombeuse infatigable, la mère célibataire militant par plaisir, l'égoïste au grand coeur toujours prète à plaquer ses enfants pour aller soulager des misères à l'autre bout de la terre. Avec la meilleure volonté du monde. Nadège n'avait qu'un légume à pleurer. C'était à moi maintenant de lui donner par écrit sa "vraie" grand-mère, de la faire revivre avec toute sa superbe, sa liberté, son secret, sa blessure... Brusquement un poids m'est tombé sur le ventre. Les cachets violets.
-¢a va pap?
J'ai balbutié une parole rassurante, remis mon imper.
-Tu veux que je vienne?
-Non, ¢a va. Tu as cours à huit heures, demain.
-Neuf.
-Ne t'inquiète pas. Je fais juste un saut.
Je l'ai serrée dans me bras, j'ai pris les clés de ma voiture. Cette Maserati qui avait suivi l'enterrement de ma soeur, de mon ex-femme, et qui avait accompagné ma mère, un matin d'octobre, jusqu'à la maison spécialisée oú elle avait souhaité -comme elle le disait dans ses derniers accès d'ironie lucide- prendre ses <<quartiers d'hiver>>.
*
-Vous désirez que je vous laisse seul?
J'ai confirmé d'un battement de paupières. La directrice a tiré la porte derriére elle. J'ai attendu cinq secondes en fixant maman, le regard plongé dans ses paupières closes. Puis j'ai ouvert le tiroir. Les cachets n'étaient plus. La gorge nouée, j'ai refermé la petite boîte en porcelaine ronde oú souriaient des bergers autour d'un olivier.
Je me suis forcé à rester dix minutes, pour essayer de prier. Mais Dieu était mort chez les jésuites, d'un coup de poing dans la gueule du curé peloteur qui m'avait ensuite fait renvoyer pour outrage à la pudeur. Sa parole contre la mienne. J'avais perdu la foi et gagné la rage, sans laquelle il est vain de vouloir écrire.
J'ai jailli hors de la chambre, demandé à toutes les infirmières de nuit si ma mère avait re¢u une visite aujourd'hui, si elles avaient remarqué une jeune femme blonde à queue-de-chevalavec un blouson de cuir bordeaux. ¢a ne leur disait rien, mais elles me promirent de demander à leurs collègues de jour. Je ne fis pas l'effort d'inventer un prétexe pour justifier mes questions. Que leur dire? Je savais bien que c'était absurde, qu'une àtudiante ne va pas commettre un crime pour nourrir sa thèse, alimenter l'inspiration défaillante de son <<sujet>>... Ma seule présomption était un rêve. Mon cauchemar de la nuit dernière se rappelait à moi avec une telle précision qu'il en devenait prémonitoire.
*
Le lendemain, après avoir accompagné Nadège au lycée, je me suis rendu aux pompes funèbres. J'ai expédié les formalités, commandé l'incinération, puis j'ai traversé la Seine en direction du XVI° arrondissement. Sur mon plan de Paris, j'avais localisé l'adresse avec difficulté. Un carré minuscule donnant sur le boulevard Suchet, noirci par les lettres <<Sq. des Ec-comb-m-p-l-F>>.
Je me suis garé en bordure du bois de Boulogne. Sept bâtiments cossus se partagaient le square autour d'un parterre à la fran¢aise. Le 4 était un petit immeuble haussmannien ravalé de frais. Dans la colonne des interphones, l'étiquette <<Renois>> était la plus haute. Sans doute une chambre de bonne, sous les combles. J'ai enfoncé la touche. Au bout de vingt secondes, j'ai recommencé.
-Bonjour.
Je me suis retourné. Elle me souriait, une baguette sous le bras, des sacs Monoprix plein les mains. J'ai retiré mon doigt de la touche, comme pris en faute. J'ai bredouillé:
-Je passais dans le quartier...
-4725.
Elle a écarté ses bras chargés en désignant le digicode.
J'ai composé les chiffres, lui ai tenu la porte en laissant tomber d'un ton neutre:
-Je viens de perdre ma mère.
-Vous voulez monter?
Je l'ai suivie dans le petit hall marbré. Elle ne paraissait pas surprise par la nouvelle. Mais rien ne la surprenait. C'était un genre qu'elle se donnait -ou le souci d'en faire le moins possible, de peur que ses réactions ne sonnent faux.
Dans l'ascenseur, elle m'a dit qu'elle était navrée pour moi,, mais que personnellement elle se réjouissait: j'allais me remettre à écrire. Je n'ai pas repondu. Je soudais son visage de profil, ses lèvres minces, son joli nez, l'arc des sourcils, la petite frange démodée. Elle était banale, totalement ordinaire à part cette détermination figée, cette rigueur de statue lorsqu'elle me dévisageait. Avec l'air de me traverser, de lire en moi, d'anticiper le travail de mon imaginaire.
Elle a ouvert la porte au bout du couloir, et je me suis retrouvé devant moi. Une centaine de photos illustrant des reportages et des critiques tapissaient les quinze mètres carrés du studio, parmi des factures punaisées et des Post-it de toutes les couleurs. Des ébauches de plan, des idées en vrac, des questions. "P de F.: aveux chap.13. Les diff. versions de la scène chimio. Rôle du gd-père dans culpabilité. Mère violée pendant la guerre? Tentation Nad à 9 ans..." J'étais au milieu d'un musée miniature consacré à mon ouvre. Pudiquement, j'ai déplacé mon regard vers les culottes et le torchon qui séchaient sur un fil au-dessus de radiateur.
-Je vous presse une orange?
Elle a sorti de ses sac un morceau de viande et des yaourts, les a rangés dans le frigo séparé de son ordinateur par un panneau de polystyrène. Son lit-mezzanine surplombait son bureau, les montants de bois blanc servaient de penderie.
-Non, merci.
-Je manque un peu d'espace, mais je voulais absolument habiter la square. Quand je l'ai découvert sur le plan, en arrivant à Paris, je me suis dit: c'est là. Square des Ecrivains-combattants-morts-pour-la-France, pour moi c'est mieux qu'une adresse. C'est une profession de foi. Vous cherchez vos livres?
Mes yeux reviennent sur elle. La seule étagère supporte des dictionnaires, une bible et un singe en peluche.
-Ils son là.
Elle désigne l'ordinateur.
-Vous les avez recopiés?
-Saisis.
-Pour gagner de la place?
-M'imprégner, devenir vous.
Elle referme le frigo, ôte de la prise le fil de sa cafetière, branche un presse-agrumes. Sans relever sa réponse, je domande:
-Qui lisez-vous, sinon?
-Personne. Vous me suffisez. Mieux vaut aller à fond dans un seul que s'éparpiller. La littérature, c'est un hologramme. Brisez-le, et chacun des fragments contient le tout. Que pensez-vous de moi? ajoute-t-elle sur le même ton en pressant son orange.
Le bourdonnement s'interrompt. Je réponds qu'elle serait le fantasme vivant de beaucoup de confrères. Pas le mien. Je n'aime pas qu'on écrive sur moi. Qu'on m'analyse,chanel 6014, qu'on me découpe, qu'on me dissèque. Je déteste les entomologistes, les embaumeurs et les gens qui vivent par procuration.
-Asseyez-vous, dit-elle en désignant la chaise devant l'écran.
Je fixe, au-dessus du bureau, mon visage dans "Match" en 1999, souriant sur un lit de clinique après mon infarctus. "Les confessions du nouvel Académicien: <<J'ai failli devenir immortel à titre posthume.>>" Je me retourne, lui demande brusqement:
-Vous étes allée voir ma mère?
-A votre avis?
Elle m'observe en biais tout en buvant son jus. J'attends qu'elle repose son verre pour lui mentir:
-Une infirmière m'à donné votre signalement.
-Normal.
Elle rince le verre, entrebâille la petite fenêtre au-dessus de l'évier.
-Pour écrire votre bio, il me fallait du vécu. Il fallait que je compare. Votre vie et ce que vous en faites.
Comment avez-vous trouvé l'adresse?
-J'ai beaucoup de temps à vous consacrer, monsieur Kern. Tout mon temps, en fait.
-Je la saisis par les poignets, lui demande ce qu'elle veut.
-Mon doctorat et une chaire. Vous étes mon sujet, alors je vous traite au mieux. Mais vous étes le moyen, pas la fin. Soyez tout à fait rassuré: je n'ai aucune vue sur vous. Je ne vous trouve ni séduisant, ni sympathique, ni mystérieux. comme je vous l'ai dit, vous êtes prévisible. Et transparent. Tout et dans vos livres.
Mes doigts se desserrent, je laisse retomber mes bras.
-Vous pensez que j'ai tué votre mère? Je ne peux pas vous donner tort, sur le plan de la logique. Lorsqu'on pousse un critique sous le métro, qu'on sabote les freins d'un Académicien et qu'on écrase une femme boulevard Saint-Michel, rien n'interdit d'euthanasier une grabataire qui n'a plus toute sa tête.
Je m'adosse au mur parmi les photos. Ella a parlé d'un ton goguenard, elle joue avec moi, mais une vraie sincérité court sous le persiflage. J'avale ma salive, objecte que ce n'était pas boulevard Saint-Michel, mais "Saint-Marcel": la dépêche AFP s'était trompée.
-Il faut bien que je vous laisse une part de doute, soupire-t-elle. Je veux que vous vous posiez le problème, pas que vous alliez porter plainte.
Elle ouvre sa porte, enchaîne:
-Ce n'est pas contre vous, mais j'ai du travail. Vous aussi, maintenant que je vous ai réactivé.
-C'est fini, Mathilde, cêst clair? Mettez-vous bien ¢a dans le crâne: mon oeuvre est finie, j'en ai plus rien à foutre! Pendant trente ans, je me suis bousillé la santé et le moral à retourner le stylo dans mes plaies; aujourd'hui je suis riche, respecté, cardiaque, et je veux profiter des quelques années qui me restent pour dépenser mon fric, apprécier les honneurs, me faire plaisir, humilier ceux qui me lèchent les bottes et me laisser porter par la vie. D'accord? Vous pouvez faire ce que vous voulez: je n'écrirai plus jamais une ligne. Trouvez-vous un autre sujet.
Elle secoue la tête, doucement, tapote la poignée de sa porte avec un air paisible.
-Vous ne pensez pas un mot de ce que vous dites. Et puis de toute fa¢on c'est trop tard: j'ai tout misé sur vous et nous irons jusqu'au bout.
-Jusqu'au bout de quoi?
-De votre oeuvre. Le grand livre que vous portez en vous, je vous le ferai sourtir.
-N'approchez pas de ma fille.
Les mots ont jailli plus vite que ma pensée. J'ai parlé d'une voix blanche. Elle hausse les épaules.
-Ce n'est pas une question de proximité, mais de motivation.
Elle me prend la main, l'ouvre, y dépose un truc chaud sorti de sa poche, referme mes doigts.
-Je ne travaille pas que sur vous, Alexis. Je travaille pour vous.
J'écarte mes doigts. Dans le creux de ma paume, les neuf cachets violets.
*
Je suis reparti comme un automate, sous les arbres de l'avenue bordant le Bois. J'ai dépassé ma voiture. J'étais incapable de conduire, un tremblement gla¢ait tout mon corps, brouillait ma vue. La douleur que je traquais dans mon bras gauche à la moindre contrariété s'était réveillée, diffuse, lancinante. <<Ce n'est pas forcément un symptôme, m'avait prévenu le cardiologue, mais c'est toujours un avertissement.>> Ma main droite serrait les cachets violets. Pourquoi me les avait-elle donnés? Elle jouait avec mes nerfs, mais que voulait-elle? Que je l'innocente, après tous ses efforts pour que je la soup¢onne? Les cachets ne prouvaient qu'une chose: elle était allée voir ma mère. Elle lui avait parlé, dans un de ses rares moments de lucidité, ou alors elle avait interrogé les infirmières. A moins d'être étudiante en pharmacie, on n'identifie pas le Norobtyl dans une boîte à bonbons.
Je me projette des années en arrière pour essayer de localiser un ennemi, une victime, quelqu'un à qui j'aurais pu faire un tort suffisant pour qu'une gamine de sa famille élabore un plan de vengeance aussi pervers, aussi lent, aussi froid. Je ne trouve rien. Personne. Je n'ai aimé que des jeunes femmes libres, jamais d'épouses ni de mères à problèmes, et je me suis toujours débrouillé pour que la rupture émane d'elles. Non, les seules jalousies que j'aie pu susciter dans ma vie sont d'ordre littéraire, et je vois mal une étudiante consacrer des années de labeur au concurrent d'un de ses parents, dans l'espoir qu'un jour il la regardera comme une meurtrière.
Mon téléphone bourdonne contre ma fesse. Je prends la communication. La directrice des Glycines veut savoir à quelle heure je compte venir. L'anxiété qui affleure dans sa voix me stoppe au coin d'une allée. Je m'adosse à un arbre, lui demande quel est le problème.
-J'aimerais mieux vous en parler de vive voix, monsieur Kern.
-Je ne peux pas, ce matin. Qu'est-ce qui se passe?
Le silence grésille à mon oreille, puis elle reprend d'une voix précautionneuse:
-Ce n'est pas du ressort de notre établissement, mais... je me dois de vous le dire. Nous avons... des interrogations au sujet du décès de votre mère.
-C'est-à-dire?
Nouveau silence. Je l'entends déglutir.
-Les infirmières, en preparant le corps, ont fait une découverte. Dans la bouche de Mme Kern, il y avait... enfin...
-Il y avait quoi?
-Une plume.
Elle se lance dans une explication technique que je n'écoute pas. Maman ne supportait pas de poser la tête sur de la mousse. Elle n'aimait que la plume d'oie. Elle avait apporté son oreiller personnel aux Glycines.
-Qu'en pense le médecin?
-Rien ne permet de conclure à une mort provoquée. Mais si vous souhaitez une autopsie...
L'image me serre le ventre.
-¢a peut re un suicide? C'est possible de s'étouffer soi-même avec son oreiller?
-Rien ne permet non plus de l'affirmer... Néanmoins, dans l'état mental oú votre mère se trouvait, tout peut être envisagé...
-L'autopsie donnerait la réponse?
-Le médecin pense que non. L'examen permettrait peut-être d'établir si l'asphyxie est à l'origine de l'arrêt cardiaque, mais pas si l'agression était... extérieure. Une personne atteinte d'Alzheimer avec des accès de schizophrénie peut très bien attenter à ses jours tout en se débattant...
-Ou simplement sucer une plume. Non?
Je per¢ois une ge dans son soupir.
-Désirez-vous que je vous passe le médecin?
-Non. Pas d'autopsie. Je viendrai en fin d'après-midi.
-Comme vous voudrez. Je tenais toutefois à vous signaler qu'une aide-soignante a confirmé avoir remarqué, hier aux alentours de dix-neuf heures, la personne que vous aviez décrite. Une femme blonde avec un blouson de cuir bordeaux.
Je raccroche, fonce jusqu'à ma voiture. Il est dix heures vingt. Nadège a cours jusqu'à midi. J'appelle les renseignements pour savoir oú est le poste de police le plus proche.
*
-Je suis désolé, monsieur, mais ce n'est pas suffisant.
-Pas suffisant? Mais qu'est-ce qu'il vous faut de plus? Il y a menace de mort!
-Non, je regrette, répond le flic en faisant défiler ma plainte sur l'écran. Relisez vous-même: Il n'y a aucune menace directe, c'est vous qui interprétez... Vous souhaitez revenir sur vos déclarations?
-Enfin, ¢a s'appelle quand même une présomption de danger, non? Je ne vous demande pas d'arrêter cette femme, simplement de la surveiller! Et de mettre ma fille sous protection.
Il gonfle les joues, se détache de l'écran et recule dans sa chaise à roulettes.
-On n'est pas en Amérique, monsieur. Si on se mettait à surveiller les groupies, toutes les forces de police seraient mobilisées autour des chanteurs, des lofteurs et des joueurs de foot. Sans vouloir vous vexer, elle a pas tort, votre étudiante. Ecrivez un bouquin, et ¢a ira mieux.
Je n'ai pas insisté. Il s'est radouci, m'a rassuré: il allait signaler le cas et,El armario de un geek moda con gadgets de pies a cabeza Suite101.net, au moindre problème, ils interviendraient. Je n'ai pas demandée ce qu'il entendait par <<problème>>.
Sur le trottoir, j'ai appelé le Palais de justice pour parler à Delphine Kern. Une cousine, juge d'instruction, qui m'avait rendu service au moment de mon divorce. D'un ton froid, elle m'a coupé la parole en disant que mes Avant de raccrocher, elle a ajouté que, personnellement, elle avait détesté que je la cite dans le roman sur mon ex-femme.
Je suis retourné rive gauche, et j'ai laissé un message sur la boîte vocale de Nadère pour qu'elle me rappelle dès la fin des cours. Dans la demi-heure suivante, garé devant son lycée, j'ai pris les dispositions pour parer au plus pressé. J'étais en train de donner mon numéro d'American Express lorsque le bip du double appel a retenti. J'ai mis l'agence de voyages en attente.
-Pap? ¢a va? J'ai trouvé ton message.
-Viens, je suis garé devant la porte.
-Je fais la queue à la cafét', là. J'ai contr°le de maths, faut que je révise les...
-Tu sèches.
Elle dit OK, raccroche. Je termine mon règlement à distance. Trois minutes plus tard, elle monte dans la Maserati.
-Qu'est-ce qui se passe?
-Je ne suis sûr de rien, Nad, mais je ne veux pas courir le risque. Une personne a fait une fixation sur moi, et j'ai peur qu'elle t'emmerde. Le temps que j'aie réglé le problème, tu descends dans les Cévennes.
-Tu déconnes? Je suis en plein dans les contrôles....
-On s'en fout: j'expliquerai à tes profs.
Elle change de visage, me demande avec une douceur inquiète si c'est grave.
-Non. Mais je ne veux pas donner prise.
-Qu'est-ce que je vais foutre au mas, toute seule avec les gardiens? Et mon anniversaire?
-Justement. C'est ton cadeau. Un stage de rafting avec l'équipe de France junior.
Elle me regarde d'un air extasié.
-T'as fait ¢a? Mais c'est génial! Merci à ton fan-club: j'adore quand on te pourrit la vie.
Elle avale son sourire en voyant mon expression, me prend la main en plissant les yeux.
-Et mamy? Je vais pas rater la cérémonie...
-Si. Tu prieras pour elle à distance, dans un beau décor, en train de faire ce qui te plaît... Je suis sûr qu'elle aurait préféré.
Elle me saute au cou, me dit qu'elle m'aime. Je hoche la tête. Elle se rejette en arrière, plante ses yeux dans les miens.
-Tu le dirais, si c'était grave?
Je soutiens son regard.
-Oui.
-Et c'est quoi, là? ######uel?
-Littèraire.
-J'avais pigé. T'as niqué une lectrice qui s'accroche?
-Non.
-Tant pis. J'aurais trouvé ¢a fun. Je serais allée lui casser la gueule: touche pas à mon père!
Un besoin soudain de partager le poids qui m'oppresse bouscule les mots dans ma gorge.
-Ecoute, Nad... Une étudiante travaille sur mes livres et... j'ai l'impression qu'elle fait le vide autour de moi... qu'elle est jalouse de ma famille.
Elle hausse les épaules.
-C'est la mort de mamy qui te fait dire ¢a? Arrête la parano: c'était pas un crime!
Elle me scrute pour ne rien perdre de ma réaction.
C'est trop tard pour biaiser, modifier mon expression. Je réponds dans un soupir:
-Je me le demande.
Elle ouvre le couffin qui lui sert de cartable, prend une barre vitaminée. Entre les cahiers et les stylos, je reconnais la liasse de feuilles jaunes pliées en deux. Beaucoup plus épaisse que la dernière fois. J'ignorais qu'elle avait continué son début de livre.
-Je pars pas. Je vais pas te laisser seul si tu te fais ce genre de plan.
-Ne discute pas, Nad. Tu prends l'avion de seze heures pour Montpellier.
-Je suis en danger, c'est ¢a? Il est nul, ton trip, tu fais chier.
Elle croise les bras, s'enfonce dans le siège, mastique d'un air buté. Je prends ma respiration. Je voudrais qu'elle soit consciente du risque, sans lui gâcher son cadeau d'anniversaire.
-Nad, je pense que cette fille est inoffensive, mais elle est vraiment dingue. Elle veut absolument que j'écrive un nouveau roman et... elle pensait que la mort de mamy serait un déclencheur.
-Eh ben vas-y: fais ton bouquin! Je vois pas oú est le problème.
Je tape sur le volant.
-Tu ne comprends pas: je lui ai dit ce matin que je n'écrirais plus jamais! Pour elle ¢a veut dire que mamy n'était pas suffisante. C'est à toi qu'elle va s'en prendre! Tu es tout ce qui me reste!
-Non mais tu délires? C'est une fille super!
Je sursaute, horrifié.
-Tu la connais?
-On parle bien de Mathilde?
Mon silence lui répond.
-Ben oui, je la connais.
J'avale ma salive, m'efforce de rester calme, ouvert, maître de moi.
-Depuis quand?
-Six mois.
-Six mois? Mais comment tu l'as...? Comment elle t'a....?
-Un jour, elle m'attendait à la fin des cours, elle m'a dit qu'elle faisait ta bio et qu'elle voulait me poser des questions.
-Et tu m'en as pas parlé?
Elle se détourne.
-C'étaient des questions de filles. ¢a te regardait pas.
Je reprends mon souffle, la dévisage en contenant mon émotion, mon angoisse, ma colère.
-¢a "nous" regarde, Nadège. Toi et moi. Qu'est-ce qu'elle t'a dit?
-Rien. On a parlé. De la vie, des mecs, de toi, de maman... Je lui ai montrée ce que j'avais écrit. Ben oui, elle s'y connaît elle aussi. Y a pas que ton avis dans la vie... Elle a trouvé ¢a bien.
Je tourne la clé de contact, entrouvre ma vitre.
-Et elle t'a paru... normale?
-¢a veut dire quoi, <<normal>>? T'es normal, toi, à te croire en danger dès qu'une femme s'intéresse à toi? Elle a raison, Mathilde: depuis que t'as arrêté d'écrire, tu tournes plus rond.
-Tu la rencontres souvent?
-Elle m'appelle de temps en temps, on boit des coups...
-Elle est allée voir ta grand-mère. Tu lae savais?
-Non. Mais c'est normal, pour ta bio.
-Jure-moi que tu ne lui diras pas oú tu es.
-OK, je te jure. Tu me lâches, là. ¢a va?
Je démarre. Au bout d'une centaine de mètres, elle me demande pourquoi je ne viens pas au mas avec elle. Le temps que je mette sur pied une raison valable, elle répond pour moi:
-Tu penses qu'elle t'espionne et qu'elle te suivrait. D'accord. Allez, on arrête de se prendre la tête, je fais ma valise et je te laisse l'appart. En échange, tu me jures un truc. Ou t'en profites pour écrire et ¢a te passe les nerfs, ou tu appelles une gueule comme ¢a quand je rentre, Alex. Tu me jures?
Elle lève sa main. Je lui claque la paume, et me concentre sur la circulation pour reprendre mon sang-froid.
*
Quinze heures par jour, quattre-vingt-douze pages. J'avais oublié l'ivresse d'écrire dans le silence, d'emplir de mes phrases un appartement vide, de laisser le passé reprendre le pas sur le présent en défaisant la trame du réel, pour retisser les événements dans mon sens, à ma mesure. La véritable ivresse, le contraire du flou sans fond oú me plongent les cuites. Rien sur terre ne m'aura donné autant d'émotion, autant de puissance que ces heures en marge de la vie, oú je refais le monde par dépit, par défi, par vengeance. Qu'importe le déclencheur, les étapes par lesquelles je dois passer pour lancer mon processus de création. Je ne regrette rien. Je recycle tout. La mort n'est pas une fin mais un moyen, et je vaux la peine de survivre.
Ma mère a repris corps jusque dans les détails oubliés, les malaises enfouis, les rancoeurs censurées. C'était une plaie vive, un poids mort, et maintenant c'est un personnage formisable. Tout le monde va l'aimer, l'excuser, la comprendre...
J'ai dû m'interrompre vingt-quattre heures: l'incinération, puis l'aller-retour pour vider l'urne dans notre maison natale. Son testament était sa dernière vacherie -son dernier cadeau. "Je demande à mon fils Alexis de disperser mes cendres dans le lit de la chambre mauve." Son lit de jeune fille. Le lit oú elle nous avait con¢us, ma soeur et moi. Les enfant de la guerre, les enfants du viol... J'ai suivi ses volonté à la lettre, conscient du chapitre formidable que j'allais en tirer.
Tout était resté en l'état sous les couches de poussière, dans la maison du bord de mar au milieu des pins malades et des ronces ensablées. La maison maudite, qu'elle avait tant aimée avant que les nazis ne la réquisitionnent, et qu'elle avait depuis laissée à l'abandon, sans jamais consentir à y revenir pour la vider, la vendre ou la louer. La maison de ma naissance dont elle m'avait dégoûte à jamais, et qu'elle m'offrait à titre posthume pour que j'y fasse revivre son passé...
On sonne à la porte. Je relève la tête de ma feuille, hagard, dans mon nuage de fumée, laisse la chambre mauve se dissoudre tandis que les bruits de Paris se réinstallent autour de moi. Je rature un mot, termine la phrase. Deuxième coup de sonnette. Je regarde le réveil. Il est midi de je ne sais quel jour. Téléphone et répondeur sont coupés; je ne les rebranche que le soir pour appeler Nadège et Pizza Quick.
Je repousse ma chaise, boutonne mon pyjama, vais coller mon oeil au judas. Mathilde Renois. Un paquet plat dans les mains. J'entrebâille.
-Je vous dérange?
-Oui.
-C'est pour votre fille.
Elle me tend le paquet. Pâtisserie de verneuil. Merde, c'est jeudi.
-Vous lui souhaiterez un bon anniversaire.
-Elle n'est pas là.
-Je sais.
Mes doigts se serrent sur la poignée.
-Vous avez eu peur que je m'en prenne à elle et vous l'avez mise à l'abri quelque part. Excellent prétexte, n'est-ce pas? Ne me remerciez pas. Enfin vous êtes seul, sans remords de conscience, et vous pouvez travailler tranquille. Vous m'offrez un verre?
J'écarte le battant, elle entre, va droit jusqu'au salon, s'arrête devant mes feuilles, ne regarde que le numéro de la page.
-Impressionnant. Je suis très flattée.
Elle se retourne avec un sourire radieux.
-Vous pouvez lui faire parvenir son gâteau, ou c'est trop loin?
-Vous me dérangez, Mathilde.
-Je vous alimente. Allez, on fait comme si elle était là.
Elle me reprend le paquet des mains, dénoue le ruban, ouvre le carton sur la table en marqueterie. 2Nadège" est écrit à la crème au beurre sur fond de chocolat. Elle s'agenouille et commence à planter les bougies sorties de sa poche. Je rferme la porte. Je suis dans l'état second oú même les interruptions trouvent une place dans le récit. La scène que j'observe depuis le seuil s'intercale comme par magie au milieu du passé que je reconstruisais. Une parenthèse d'aujourd'hui qui donne un arrière-plan, décale, resitue, entre en résonance avec les drames d'autrefois.
Je sors deux assiettes, viens derrière elle. sa queue-de-cheval est très haute, son cou offert, délicat, balayé par une mèche en virgule. Ce serait si facile de l'étrangler en état de légitime défense, maintenant que j'ai porté plainte. De faire d'elle à mon tour un sujet. Ou de la basculer sur ma table, de la violer parmi les pages qu'elle a voulu que j'écrive. Un coussin sur la bouche, et son corps brûlé au fond d'un ravin dans la Maserati qu'elle m'aurait volée...
-Nad se plaît dans les Cévennes?
Sa voix me parvient comme un écho lointain. Je m'assieds en face d'elle, pour calmer le vertige. Une crampe dans le bras. Les fourmis de l'écriture, à moins que ce soit le signal d'alerte... Ou simplement la faim, depuis hier soir. Elle coupe une part, me tend l'assiette. J'avale trois bouchées sans la quitter des yeux. Assise en tailleur, elle m'examine en retenant sa respiration, comme si je faisais quelque chose d'important.
-C'est bon?
-Excellent.
-¢a vous rend beau, l'écriture. Vous n'avez plus rien de commun, quan vous vous dites que "¢a valait la peine".
-Comment vous savez, pour les Cévennes?
-Oubliez. Vous êtes ailleurs, en ce moment; laissez Nadège dans la réalité.
Un engourdissement me gagne tandis qu'elle continue à parler, d'une voix de plus en plus lente, de plus en plus douce:
-C'est drôle, vous n'avez même pas soup¢onné une seconde que j'aurais pu empoisonner son gâteau. c'est dire si vous êtes dans votre livre, si votre mère vous inspire... Du coup vous n'êtes plus du tout inquiet pour votre fille. Vous avez raison. Elle ne risque rien, désormais.
Un voile danse devant mes yeux. Je me laisse aller contre les coussin, cale ma tête.
-C'est beau, le début de roman qu'elle vous a montré, non? Elle est douée. Beaucoup plus que vous. Beaucoup plus sincère. Elle n'a pas besoin de détruire pour recréer, elle. Mais vous lui faisiez trop d'ombre. Jamais elle ne serait allée au bout, de votre vivant. Et puis, un jour, vous vous seriez fait prendre. jusqu'à présent, je suis la seule à avoir deviné la verité... Mais il suffit de plonger dans votre bio pour faire les recoupements. Je vous ai menti, Alex. Ce n'est pas l'homme de lettres qui me passionne: c'est le tueur en série. J'ai voulu vous remettre en condition, vous réactiver pour confirmer ou non mes intuitions.
Une onde glacée envahit ma poitrine. Je comprime mos bras pour maîtriser la douleur.
-Mathilde... Les pilules, dans ma veste... Sur la chaise de l'entrée...
-Non. Je protège Nad, et je lui donne un formidable sujet. Vous serez l'ouvre de sa vie.
Le douleur me plie en deux, je me laisse glisser sur le tapis.
-Vous avez toujours tué ceux qui vous barraient la route. De votre grand-père qui ne voulait pas qu'on lise ses mémoires de son vivant, jusqu'à votre ex-femme qui mena¢ait de vous attaquer en justice si vous la mettiez dans un livre, en passant par le critique qui vous ridiculisait et l'Académicien qui faisait campagne contre vous.
-Mathilde... Ma veste...
-Après notre rencontre, après ce que je vous avais dit sur votre mère, j'ai bien pensé que vous iriez l'euthanasier. En remontant de Montpellier, je me suis précipitée avant vous aux Glycines, pour enlever les cachets de son tiroir. Je pensais que ¢a vous arrêterait. Mea culpa. Je n'avais pas pensé à l'oreiller.
-Mais je n'y suis pour rien... C'est elle!
-Un suicide? En ne trouvant plus ses cachets, son droit de mourir dans la dignité le jour de son choix, elle se serait étouffée elle-même avec son oreiller? C'est possible, mais le lecteur n'y croira pas. Non, je ferai en sorte que Nadège vous envisage sous l'angle du matricide. Quel beau personnage vous allez être...
-Mathilde... ne me faites pas ¢a... Les pilules, vite...
-On sera très heureuses, toutes les deux, et je vous jure qu'elle ne vous oubliera jamais.
J'essaie de me relever, retombe, la main crispée sur le coeur.
-Bon, ben je vous laisse: j'ai mon avion dans deux heures. C'est superbe en cette saison, les Cévennes. Bien sûr, il n'y avait aucun poison dans le gâteau. Vous avez fait le travail tout seul. Mais quand Nad vous trouvera comme ¢a devant ses bougies d'anniversaire, l'image sera un formidable <<déclencheur>>, comme vous dites.
L'ouverture de son roman. Qu'en pensez-vous?
J'ai entendu la porte se refermer. Et je suis mort en pensant que c'était un bon début.
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Old 05-29-2011, 02:58 AM   #2
nikeacase
 
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